Entre 1980 et 1982, Ricardo Cavallo commence un travail introspectif à travers un exercice d’imagination active. Inspirée par la méthode de psychologie analytique de Carl Gustav Jung, et naissant de sa fascination pour les vases grecs du Louvre et par « la suite Vollard » de Picasso, cette entreprise cathartique lui permet d’établir une cosmographie personnelle, un point d’ancrage pour son œuvre à venir. D’abord dans des cahiers à l’encre de chine, il continue ensuite en variant les supports et les techniques, avec du collage, de la gouache, sur de grands papiers ou des feuilles assemblées.
« Dans l’imagination active, il s’agit plus d’une réception de contenu que d’un travail sur la forme et sur l’effet à produire dans le dessin. Dans l’état de l’imagination active, on est plutôt dessiné. On se laisse guidé par le fluide onirique qui, en règle générale ne ferme pas les phrases qui jaillissent. Ce sont des fragments de phrases qui ne cessent de bifurquer dans un débit continu. Dans ce cas : Non interferir. C’est essentiel pour que le jaillissement soit contenu. On dessine dans un état de vague conscience, de vague désir, de vague culpabilité, de vague honte, dans l’attente… Cela nous permet de voir plus en avant et de trouver des atmosphères perdues qui nous amènent à des histoires oubliées. Ce sont des moments du programme qui se tissent dans notre intérieur et qui constituent la matière d’une création d’un travail possible. C’est dans ce terrain de l’imagination active que je me trouve en consonance avec le travail, la production des enfants. Cette fonction qui nous habite pendant l’enfance, on peut la prolonger tout au long de notre vie. Désormais je ne pense plus en terme de dessins « d’enfants » le trouvant trop restrictif, et lui préfère le terme d’imagination active. » Ricardo Cavallo, entretien 2023
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Repères
Depuis vingt ans, l’essentiel de l’oeuvre de Ricardo Cavallo prend forme au rythme des marées, autour des roches de gabbro. Son approche de la fragmentation par les plaques est sans cesse poussée plus loin. Il sépare et unit à nouveau son sujet, créant des tableaux comme Systole et Diastole, qui contient un espace à 360°Il élabore un processus de composition avec la fragmentation par les plaques. Cette approche est illustrée par La Ville, sa première composition en plaques, peinte en 1987La Table, une huile sur toile peinte en 1984, révèle le point de départ de toute la mythologie personnelle de Ricardo Cavallo.Sa vision idiosyncrasique du monde prend forme dès le début des années 80 grâce à un long processus introspectif, qu’il élabore par des dessins et des gouaches en suivant une méthode inspirée de l’imagination active de Carl Gustav Jung.
La Table – De l’imagination active à l’œuvre 1982-1992
La table, 130×552 cm, 1984
Après un travail introspectif par le dessin, Ricardo Cavallo reconstitue son imaginaire dans son atelier à l’aide de sculptures et de figurines dont il peint la mise en scène à l’huile sur des toiles.
« Les cahiers se sont accumulés, une langue s’en est dégagée et j’ai entrevu mon histoire. Après avoir rempli trente cahiers d’une centaine de feuilles chacun, la lumière a jailli, et une réunion s’est produite dans mon intérieur, quelque chose s’est soudé, une totalité d’énergie s’est mise à ma disposition. Toutes ces images restent confidentielles et produisent une fermentation. De celle-ci surgit la révélation d’une suite possible, cette fois-ci dans la peinture, et dans une facture destinée à devenir visible et partageable, à savoir de l’huile sur toile. » Ricardo Cavallo, entretien 2022.
Dans l’atelier I, 161×114 cm, 1983Dans l’Atelier II, 146×178 cm, 1983Dans l’atelier III (haut), 146×342 cm, 1986Dans l’atelier III (bas), 81X230, 1983Marie d’Égypte, 89×116 cm, 1985Coin d’atelier, 1985Elle Vole, 81X65 cm, 1983Tête Rouge (Marsyas), 1983Le Faucon, 100X100 cm, 1984Mon frère, 130×96 cm, 1984Le Départ, 163X195 cm, 1984Huit ans après, 192×326 cm, 1984Le Demiurge, 260×162 cm, 1984Le Demiurge II, 260X162 cm, 1984Les cascades, 97×130 cm, 1985La table ronde, 200×200 cm, 1992Autoportrait (jour), 194×61 cm, 1992 – Autoportrait (nuit), 194×81 cm, 1992 – Stèle, 252×61 cm, 1992Atelier aux 3 modèles, 244×200 cm, 1992Cheval, 244×190 cm, 1991
La Ville – La fragmentation par les plaques 1987-2002
La Ville, 192×570, 1987
Ricardo Cavallo produit La Ville, sa première grande composition, en utilisant sa méthode des plaques, du haut de son balcon à Neuilly. Cette idée de fragmentation trouve son origine dans le vaste panorama qui lui est offert depuis 5 fenêtres au sixième étage, et caractérisera son œuvre future.
« On peut trouver aujourd’hui un lien entre ces dernières œuvres et le premier travail en plaques réalisé en 1985. C’est l’année où j’ai fait La Ville. Il s’agissait de développer un panorama, celui vu depuis le sixième étage d’un immeuble proche de la Porte Maillot à Paris.
J’avais quatre fenêtres à ma disposition, sur deux côtés, me permettant ainsi d’avoir un angle de vision horizontale de 270° environ, et 180° verticalement. Après avoir fait un dessin de l’ensemble, j’ai reconstitué l’espace à partir de tous les points de vue sur des grands panneaux de bois en contreplaqué (2×6 m environ), j’ai ensuite procédé à une coupe en petits panneaux de 19×24 cm. J’ai pris soin de les repérer au dos en assignant une lettre par ligne et un numéro par colonne.
Depuis les quatre balcons, muni d’une boîte à pouce, j’ai travaillé chaque petit panneau séparément et sans en retoucher aucun. Cela a duré un mois. En peignant, je ne m’occupais pas de la totalité mais du fragment. J’essayais d’être fidèle à la position de mon regard, à l’exacte portion de l’espace correspondant à mon fragment ainsi qu’à la lumière du moment: matin, après-midi, soir, avec du soleil ou couvert. Une fois toutes les plaques peintes, j’ai regardé l’ensemble. Je l’ai trouvé enthousiasmant, et je les ai collées.
Par la suite, j’ai découvert dans ce procédé de fragmentation beaucoup de possibilités et c’est une méthode que je continue à utiliser, avec quelques modifications. C’était comme si un principe fondamental avait fait irruption, principe que je n’allais pas cesser de poursuivre et d’approfondir ensuite. Dans cette aventure, ce qui m’a retenu c’est le nombre infini de fragmentations que je pouvais imposer au visible; avec le sentiment qu’en augmentant la taille du tableau (par rapport au morceau du réel) et en pratiquant des césures je voyais davantage, plus loin, autrement.
Plus tard, la continuité va s’ajouter à la fragmentation, grâce à l’utilisation d’un cadre sur lequel je peux enchâsser plusieurs panneaux. Au lieu de travailler fragment par fragment je travaille désormais sur 4 panneaux d’une composition qui peut en comporter quarante par exemple. Je ne changeais que deux morceaux à chaque fois, d’où la continuité possible. Les combinaisons se transforment ainsi :
À chaque fois le nouveau tableau devant mes yeux est fait par moitié du tableau précédent. Le travail du présent et celui du passé dialoguent, se confrontent, s’enrichissent et se modifient entièrement au cours de la séance et ainsi de suite. Dès lors, je ne travaille plus chaque morceau (ou combinaison de morceaux) une fois pour toutes, mais au contraire, je fais plusieurs tours à l’intérieur de ce circuit, en m’imprégnant du thème. La surface devient peu a peu une « composition », avec laquelle je vis parfois pendant plusieurs années. La durée d’exécution se révèle alors un facteur essentiel dans la production du tableau.» Ricardo Cavallo, Sur les toits de Morlaix, 2016.
Fenêtres, 122×213, 1990Rue de Chartres, 248 x 177, 1990Toits I, 248 x 150, 1990Les toits II, 184×169, 1994Clocher, 240×75, 1997 – Stèle, 240 x 40, 1996 – Stèle au mur jaune, 240 x 60, 1997Terrasses, 180 x 120, 1997Maison de culture, 210×120, 1997Carré, 150×150, 1996Grand Platane, 120×200, 1998
« Dans ce jeu complexe d’addition et de soustraction, de verve lyrique et d’abstraction picturale, la peinture de Ricardo Cavallo n’est pas figurative stricto sensu. Ricardo Cavallo ne s’applique pas à représenter la réalité mais à la reconstruire de manière à l’enrichir de toute histoire qui lui tient à cœur. L’arbre a permis à l’artiste de se perdre et de se retrouver. […] Pour Ricardo Cavallo, l’arbre n’est pas un thème. Il est le prétexte à une effusion de visions et à une aventure picturale. L’arbre est totem, l’arbre est coupole. Son feuillage a la présence d’un vitrail historié, ses racines entremêlées celle d’une monstrueuse joute amoureuse. »
Pierre Brullé, Devant, derrière, Le Hêtre Pourpre, in Paysage Imminent, 2000.
Le grand Hêtre pourpre II, 320×240, 1999
« À la fin des années 1990, Ricardo Cavallo entre au Bois de Boulogne comme on entre dans un temple… il se met à peindre sous les branches, complètement immergé. Il peint le tronc noueux comme un foyer de lumière mate. Cette architecture végétale qui se déploie vers le ciel, il ne la comprend qu’en s’y enfermant. Il a une façon bien à lui de trouver l’immensité spatiale dans une certaine clôture, c’est même un fil conducteur de son œuvre. »
Philippe Garnier, « La tectonique des plaques »in Paysage Imminent, 2013.
Le grand chêne, 350×297, 2014-2015Les Jacobins, 140×189 cm, 2015
Systole et Dyastole – Séparer et réunir 2003-2022
Systole et Diastole, 158×915 cm, 2010-2012
« Depuis longtemps je poursuivais l’idée de réaliser une composition à 360 degrés. Systole et Diastole m’a demandé six années de travail. La composition fait environ dix mètres, elle a été collée en huit morceaux. Étant donné que l’espace décrit un parcourt à 360 degrés, on a la possibilité de présenter le tableau de huit façons différentes. Je ne voudrais pas être entouré par la composition, façon panorama. L’idée, c’est de présenter les 360 degrés devant soi, de voir l’ensemble d’un seul coup d’œil. »
« Trente ans après, je comprends que c’est le double mouvement de séparer/réunir qui crée composition. C’est un mécanisme proche du souffle : inspiration/expiration, ou de la blessure: coupe/cicatrisation. Une dynamique qui permet de se dépasser à force de déséquilibres et de rétablissements. Un jour, le tableau est fait et je le ressens comme une grâce et une délivrance. » Ricardo Cavallo, Sur les toits de Morlaix, 2016.
Tertre, 140×270 cm, 2013
« [ Le ] gabbro, c’est une pierre qui a 350 millions d’années, c’est plus vieux que le granite [ … ] Cette pierre-ci a un aspect torturé, assez tragique, qui se trouvait en relation avec mon imaginaire [ … ] Elle présente une difficulté comme s’il y avait des runes avec un code à déchiffrer. Pour moi, c’est un miracle que je sois tombé dans cet endroit ; il y a un très beau mot pour définir ce qui s’est passé ici, c’est l’épiphanie, c’est-à-dire l’apparition d’une chose parce qu’il y a réunion entre un intérieur qui était prêt et un extérieur qui coïncide » Entretien avec Ricardo Cavallo, An Nor Digor, décembre 2008.
Grand triptyque, 210×360 cm, 2007-2010L’étoile, 275×270, 2012-2013Sorcières, 270×270, 2013Les Rois, 245×405, 2012-2014Tombeau d’Achille II, 150X360 cm, 2017 La Jeune Fille, 150×510 cm, 2012-2014
La Jeune Fille est collée en quatre morceaux, il y a donc quatre manières différentes de présenter le tableau.
Protée, 150×360, 2017-2018Malbran, 270×300, 2018-2019Falaise jour, 150×480, 2019-2020Intérieur grotte, 210×330, 2019-2020Grotte verticale, 315×270, 2022Grotte, 300×270, 2022La reine des serpents I, 330×240, 2020-2021La Reine des Serpents II, 210×108, 2021Incipit Vita Nuova, 180 x 420, 2018